LUNDI 10 DÉCEMBRE 1835.
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE.
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HYMNES ET IDYLLES.
Il s’élève en ce moment un hymne en faveur de la paix. Le commun des mortels se borne à célébrer les joies d’un dénouement pacifique; ce sont des tableaux touchans où l’on voit le soldat rentrant dans sa chaumière et embrassant sa payse et ses amis qui l’attendent sur le seuil.
Mais il y a des politiques profonds qui dédaignent les scènes d’attendrissement et préfèrent déduire avec une logique inflexible les raisons qui méditent en faveur de la paix.
La Russie, disent ces hommes pleins de prévoyance, poursuit ses projets d’envahissement depuis deux siècles. Elle s’avance à petit bruit, à petits pas mais constamment sur Constantinople, pour delà peser sur l’Europe occidentale et s’étendre vers l’Asie.
C’est un fait que personne n’ignore ; Ja politique russe est, aujourd’hui connue comme le loup blanc.
On sait si l’Europe occidentale a mis du temps à sortir de sa léthargie ; on sait si elle a eu de la peine à prendre un parti décisif, à s’armer pour arrêter l’envahissement de la Russie. Chacun voyait le danger, mais personne ne voulait prendre l’initiative d’une résistance qui devenait tous les jours plus urgente. On répétait ie mot ignoble de Louis XV : — Ma foi, cela durera bien toujours autant que nous !
Enfin la guerre est déclarée. La prise de Sébastopol, l’envahissement de la Crimée frappent la Russie au cœur. Aussitôt les grands politiques pleins de prévoyance qui rédigent des feuilles accréditées et qui tiennent uu cabinet de consultation à l’usage des peuples et des gouvernemens, s’écrient ;
— En voilà assez ! Arrêtons-nous, peste ! N’allons pas fermer à la Russie la route de l’Inde.
Remettons les choses dans l’état où elles étaient avant la guerre.
Sébastopol esta peu près détruit, mais on peut le relever. Signons vite un bon traité de paix qui laisse à la Russie Cherson, Nicolaïeff, Odessa, tous les moyens de recommencer des arméniens sur nouveaux frais et de reprendre sa marche un instant interrompue vers Constantinople.
Nous avons montré au tzar ce que peuvent nos armes. Il n’en faut pas davantage. La leçon lui profitera. Cet homme est maintenant corrigé de son ambition et la Russie renonce du coup à sa politique séculaire. En douter ce serait bien peu connaître le cœur humain. Voyez plutôt ce qui se passe au dé-
1 noûmentde toute comédie bien faite. L’homme vicieux ne manque jamais de se corriger au cinquième acte. Le glorieux, Y indiscret, Y étourdi, le prodigue, le joueur, revenus de leurs erreurs et de leurs folies, jurent de tenir désormais une conduite plus sage. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement de la politique russe? Il faudrait supposer qu’elle n’a pas la moindre connaissance du vieux répertoire ; or, personne n’ignore qu’il existe un théâtre français à Pélersbourg.
Oui,Y ambitieux se corrige comme \v joueur, comme Y indiscret. *
Signons donc la paix aux conditions que l’on voudra. Peu importent les conditions, puisque l’effet moral est produit, puisque le tzar est corrigé.
Ainsi parlent les oracles de la politique.
Il y en a d’assez simples pour être de bonne foi, pour croire que ce qui se passe n’est qu’une comédie de caractère, que la Russie s’est laissé égarer un moment par de folles illusions dont elle est bien revenue aujourd’hui, et pour ne pas voir qu’elle obéit aux nécessités de sa constitution physique et morale et qu’il lui est possible d’avoir une autre politique, d’autres visées et de faire autre chose que ce qu’elle fait.
Mais parmi ces grands logiciens de la paix il y a aussi des gens d’esprit, des roués qui répètent in 'petto le mot de Louis XV : Cela durera bien autant que nous! De quelque façon que la paix se fasse, pensent-ils, ce sera toujours un replâtrage qui tiendra bien une vingtaine d'années, plus ou moins. Il faudra alors revenir à la charge avec des difficultés nouvelles, mais nous ne serons plus de ce monde et ce sera l’affaire de nos fils et de nos neveux. Ils s’arrangeront comme ils pourront, l’importent c’est que nous ne soyons pas troublés plus longtemps dans notre quiétude et qu’il ne se glisse pas quelques épines dans notre oreiller. Les millions se sont fondus au feu de la guerre, le sang a coulé à flots, renonçons à recueillir les fruits de ces sacrifices. La France est assez riche pour ne pas peser ni son or ni son sang.
Tel est le calcul égoïste et lâche qui se cache au fond de ces hymnes à la paix I
Clément Caraguel.
—... ..
LES TESTAMENS DE LA PAIX.
la prochaine ouverture du parlement, est de présenter un bill ainsi conçu :
« Il est interdit à tous les membres de la société de la paix de recevoir des donations par testament. »
Cette mesure a été reconnue nécessaire en raison du nombre infini de legs qui viennent tous les jours fondre sur les membres les plus célèbres de la société des amis de la paix.
Les amis de la paix sont fort peu nombreux en Angleterre, mais ils remplacent le nombre par la férocité et parle fanatisme. L’Angleterre en ce moment est pleine de neveux déshérités par des oncles pacifiques.
On s’entretient beaucoup en ce moment dans la haute société de Londres de la noble conduite de miss Arabella Turtlesoup.
Les apprêts du mariage de cette noble demoiselle se faisaient à Turtlesoup-House avec une grande activité lorsque lord Turtlesoup manda sa nièce.
— Ma chère Arabella, lui dit-il, mon intention, vous le savez, est de parler libéralement dans votre conti at de mariage et de vous assurer une dot de vingt-cinq mille livres.
—• Vous êtes trop bon, mon petit oncle, mille fois trop bon.
— Je mets pourtant une condition à ce bienfait.
— Laquelle ?
— Je ne saurais admettre un homme sanguinaire dans ma famille, j’exige donc que mon neveu se fasse recevoir membre de la société des amis de la paix.
— C’est impossible, mon oncle, mon futur est un des partisans les plus décidés de la guerre.
— Et tu oses l’épouser î
— Oui, mon oncle.
— Tu renonces pour cet homme féroce à mes vingt cinq mille livres sterling, sans compter ce qui te reviendra après ma mort 1
— Oui, mon oncle.
— Eh bien, non seulement je te déshérite, mais encore je te maudis.
Miss Arabella n’en a pas moins persisté dans sa résolution magnanime qui, malgré le cant, a été approuvée de tout le monde.
Cette histoire peut donner une idée de la gravi lé de la situation et de l’opiniâtreté que déploient les membres de la société des amis de la paix. Voie.' du nouveaux faits que nous trouvons daus les journaux de ce jour.
On annonce que l’intention de lord Palmerston, à