LE CHARIVARI.

riches pour corrompre tous les valets de chambre prussiens.

La flotte alliée est partie, la Baltique est libre. Tous les jours on voit les plus exaltés parmi les amateurs dhuîtres se rendre sur les bords da la Newa ou monter sur la tour du phare pour interro­ger des yeux lhorizon.

* Ivan, frère Ivan, ne vois-tu rien venir?

Je ne vois que la neige qui tombe et la Newa qui charrie.

~ Ivan, frère Ivan, regarde encore; ne vois-tu pas une voile blanchir-bas à lhorizon ?

Je ne vois blanchir que laile de la mouette et la neige qui tombe de plus en plus.

Et frère Ivan redescend tristement de la tour du phare pour rentrer en ville avec ses amis con­sternés.

Le parti de la paix (cest ainsi quil faut appeler le parti des mangeurs dhuîtres) ne comprenant pas cette négligence des pêcheurs que le succès obtenu lan dernier par leurs confrères aurait fortement stimuler, fît venir le doyen de la corporation.

Compère Basilowitch, avance à lordre.

- Voilà, petits pères.

Tu es, nest-ce pas, le plus intrépide des pê­cheurs de Pétersbourg ?

Je men flatte, petits pères.

Comment donc se fait-il que tu nous laisses manquer totalement de marée fraîche et dhuîtres particulièrement ?

Ah ! je vais vous dire la raison.

Dis-la, compère Basilowitch.

Cest que, voyez-vous, nos bateaux ne peuvent pas sortir.

Ah diable ! Les croiseurs alliés ont pourtant quitté la Baltique.

Je ne dis pas non, petits pères.

Alors, quest-ce qui peut donc te retenir ?

Petits pères, ne me condamnez pas sans mvoir entendu. Il ny a pas de ma faute.

Alors, explique-toi.

Ce sont les glaces, voyez-vous, qui mempê­chent de sortir. La Newa et la Baltique sont gelées.

En effet ; mais il ne fallait pas tant te faire ti­rer loreille pour nous dire cela. Pourquoi nas tu £ pas parlé plus tôt ?

Ah ! petits pères, pourquoi ne vous en étiez- vous pas aperçus vous-mêmes ?

Basilowitch avait raison, et le parti de la paix navait dautre excuse que sa préoccupation pour ne pas sêtre aperçu quil gelait à quinze degrés.

Dans un conseil tenu à la suite de cet interroga- tore du vieux pêcheur, il a été convenu quon au­rait recours aux machines infernales du docteur Ja- cobi pour faire sauter les glaces et laisser un espace libre aux dragueurs. Cest réellement Se meilleur emploi que lon puisse faire de ces machines ingé­nieuses.

Lonîs Huart.

LA FÉCONDE LYON.

La ville de Lyon continue d'être en proie à une fièvre de paris dont nous avons déjà parlé. Cette fièvre semblait décroître depuis quelque temps quand tout à coup elle sest rallumée par suite d'une, ga­geure faite par un ouvrier mécanicien.

Cet ouvrier, nommé Van-Bruk, comme un des personnages dil ne faut jurer de rien dAlfred de Musset, avait parié daller du faubourg de Valse à Tarare, cest à dire de faire en deux heures trente minutes 44 kilomètres. li a exécuté son pari en deux heures vingt-huit minutes.

Ce trait dagilité a été le signal dune recrudes­cence de paris.

Le même soir la moitié de la ville de Lyon pariait contre lautre moitié.

Voici un échantillon des conversations que lon entendait dans les cafés, au théâtre, dans tous les lieux publics.

Monsieur, il fait bien froid ce soir.t

Oui, monsieur, je grelotte.

* Ce nest pas un temps à aller se baigner.

Non; certes.

Eh bien, je parie de traverser le Rhône à la nage.

Tout de suite?

A linstant.

Voilà qui est convenu. Dépêchons-nous ; il est neuf heures, et jai un autre pari à vider à dix heures. Je nai quune heure à vous donner. Partons.

Un singulier temps aujourdhui, monsieur.

Bien singulier en effet ; un vent très variable. Tout à lheure il était au nord, et le voilà maintenant qui vient de tourner au sud.

Vous en êtes sûr ?

- Parfaitement sûr.

Seriez-vous homme à soutenir une telle affir­mation ?

En douter serait me faire injure. Mais comment faut-il la soutenir ? Les armes à la main ?

Non, monsieur, par un pari.

* Jy consens.

Cest dit.

- Allons consulter une girouette !

Un passant ouvre la porte dun café de la place des Terreaux. I! avance la tête sans entrer.

!-dedans !

Plusieurs joueurs de dominos lèvent la tête :

- Que demande ce monsieur ?

Un homme de bonne volonté.

Pour quoi faire ?

Pour parier quelque chose avec moi.

Tous les joueurs se lèvent et se précipitent vers la porte en criant : - Voilà! voilà! Je suis votre homme ! De vives disputes sengagent.

Cest moi qui ai le droit de parier.

Pas du tout, je métais levé avant vous.

Et moi javais répondu le premier.

Je parie que non !

Je parie que si !

En cinq minutes une douzaine de paris étaient engagés, outre le pari principal proposé par le pas­sant.

Un homme de bien, un véritable philantrope rentrant chez lui à minuit rencontre dans la rue Saint-Jean un enfant de dix ans qui pleurait, assis sur une borne; il sarrête touché de pitié.

-- Quas-tu, mon petit ami ?

C'est mon père, monsieur, qui vient de me mettre à la porte, répond lenfant avec des san­glots.

Tu tétais donc bien mal conduit dans la mai­son? reprend le philantrope.

Non, monsieur.

Alors pourquoi donc ton père ta-t-îl chassé ?

Parce que je nai pas voulu parier contre lui. Il était furieux mon père. Il navait pas trouvé à pa­rier de la journée. Alors il a tout cassé dans la mai­son et il ma mis dehors.

Le philantrope comprit son devoir. Il prit len­fant par* la main, le reconduisit chez lui et dit au père en entrant :

Monsieur, reprenez cet enfant qui na pas un instant démérité de votre tendresse. Je me mets à

votre disposition. Nons parierons tout ce que vous voudrez, quoiquil soit déjà bien tard.

Ils parièrent jusquau jour. Un pareil trait na pas besoin de commentaires.

Clément Caraguel.

UNE NOTE INEXCUSABLE JfcJÙJPRESSE.

La Presse a publié mardi dernier, à propos dun roman de M. Charles Monselet suspendu pour quel­ques jours, une note bien étrange et qui a surpris tout le monde.

Cette note déclare que la Franc-maçonnerie des femmes (le roman de M. Monselet) se trouve inter­rompue à cause dun impardonnable manque dexac­titude impossible à prévoir de la part de lauteur. Nous citons textuellement.

D sort une pareille note? D tombe-t-elle ? Quel est ce ton, ce langage inouï jusqualors dans le journalisme ?

Depuis quand donc un journal se permet-il de sé­vir ainsi lui-même contre un de ses rédacteurs et se fait-il son accusateur public?

La Presse aurait être logique , au moins dans lexpression de son méconlentement.

Que nannonçait-elle quelle venait de mettre en pénitence pendant un certain temps, comme qui di­rait au pain sec et à leau, le feuilletonniste [délin­quant?

Pourquoi ne joint-elle pas à son bureau de rédac­tion une salle de police, un cachot, des oubliettes, pour y plonger désormais les gens de lettres qui lui donneront quelque sujet de plainte ?

Qua voulu la Presse en publiant sa note ?

Non pas seulement sans doute se donner la triste et vraie satisfaction dadmonester publiquement un écrivain ?

Elle a tenu avant tout à se justifier elle-même aux yeux de ses lecteurs.

Sil y a un relâche dans le cours du feuilleton, ce nest pas la faute du journal, cest celle du feuil- ietonniste. Le grand coupable, linexcusable, cest lui ; il est devant vous dévoilé, fustigé ; faites ce quil vous plaira, nous vous le livrons pieds et poings liés.

A cela les lecteurs de la Presse répondent :

Que nous importent à nous vos querelles din- térieur, vos griefs de pot au feu?

Vous nous promettez un roman, donnez-nous no­tre roman sans notes et sans phrases.

Mais vous ne laviez pas tout entier en portefeuille? Lœuvre sest faite à peu près au jour le jour ? soit !

Vous saviez apparemment à quoi vous vous expo- ' siez en subissant ce genre dexécution qui a ses in- convéniens sans doute, mais qui a aussi ses avan­tages, témoins tant dœuvres populaires et célèbres qui ont été faites ainsi, de verve et de jet, [en pré­sence du publie qui fouette et stimule linventeur, g Est-ce quon ne doit pas prévoir en pareil cas et les dispositions de lécrivain et ses heures de fati­gue ou même ses lacunes dinspiration ?

Quand ces eas- se présentent, est-ce une raison pour semporter contre lui, casser les vitres à son égard, pour le rendre lobjet dun fait-Paris acri­monieux et vengeur, dune vraie période de réqui­sitoire ?

Les droits du propriétaire dun journal sont déjà grands. 11 choisit ceux qui lui plaisent, il sen sé­pare quand il veut, il est le maître presque absolu en toutes choses ; mais sil faut quil joigne à ces droits- celui : de chapitrer au besoin les écrivains, de les éreinter (cest le mot) dans les colonnes mêmes ils écrivent, que devient îe journalisme, dans