Numéro
27 NOVEMBRE 1924
HEBDOMADAIRE D’INFORMATION ET DE CRITIQUE
TROISIÈME
■ saison B
1924 - 1925
B D LÉOPOLD II, 271, BRUXELLES
CHÈQUES POSTAUX
V. BOURGEOIS 108,016 ■Téléphone :685,67 b
P. BOURGEOIS, V. BOURGEOIS, P. FLOUQUET, K. MAES, G. MONTER.
NOS INTERVIEWS
— « M. Jean Epstein?»
— « Chambre 139 »
Rapide traversée du hall de T hôtel, un peu d'Europe, affairée, en fauteuils. L'ascenseur. — « Entrez ».
Durant les présentations match d'observation entre deux regards. Quant à moi j’ai effectué la rapide reconnaissance suivante : ce chantre précis des objets, Epstein, paraît sous le mode mystérieux. Metteur en scène donc conducteur d'artistes, je l'ai vu doux d'aristocratie et de lassitude. Mais cet être de fatalisme charmant n'unit-il pas le Slave et l'Occidental? Déjà paraît dans la nervosité brusque d'un geste l'énergie. De ce jeuiîe homme romantique et résigné qui ne découvrirait l'intelligence volontaire?
Mais, au fait.
— « Mon ambition est de chercher. Aussi sais- je capricieux. Ce que je vous déclare au jour d’hui, peut-être le contredirai-je demain. »
— « Cependant vos œuvres montrent la permanence d'un esprit d'invention. »
— « J’ai toujours eu une conception nette des nécessités cinématographiques. Mais je pensais réaliser de grandes choses rapidement et je m’aperçois aujourd’hui qu’il faut beaucoup de temps pour déterminer quelque progrès. Ainsi mon évolution n’est pas une ligne droite, mais une ligne brisée...
— « Et voici pourquoi. Le prix de revient d’un Mm ne peut être amorti que par une large diffusion. Au livre quelques milliers d’acheteurs suffisent : le film n’a complètement réalisé sa mission qu’aptes avoir touché au moins un demi-million de spectateurs. Notre devoir est de gagner ce public.
— Ne croyez-vous pas néanmoins qu'un rôle plus restreint peut être revendiqué? Que pensez- vous des films de Léger, Picabia, Hirschfeld... ?
— Je ne connais pas ces productions. Ces recherches sont indépendantes du mouvement qui m’occupe . C’est du cinéma de laboratoire.
— Estimez-vous qu'en France une critique avertie s’employé à l'analyse du Cinéma?
— Hélas, presque toujours incompétence et vénalité. Quelques exceptions : Léon Moussinac, René Jeanne par exemple. »
. . De plus dans les revues d’avant-garde, souvent de jeunes écrivains discutent avec impartialité et discernement des problèmes cinématographiques. Ainsi, dans « 7 Arts », à propos de la « Belle Nivernaise » je me suis vu définir : « un païen du Cinéma ». Cette appellation me plaît. Je n’aime dans le cinéma que le cinéma : la joie de prêter une intensité dramatique aux aspects du monde. Un objet inanimé en premier plan devient vivant, atteint une réalité féétique. C’est un véritable personnage métamorphosé.
— Cette émouvante virtuosité du gros plan
^ À* ^
vous caractérise. Vous vous acharnez à reveler la réalité seconde des objets de la vie courante; vous vous distinguez nettement à cet égard d'un Wie- me...
— Je crains les peintres au studio. Leur forma- tion' les a habitués à sacrifier à un idéal statique. Nous ne pensons que mouvement. Au décor je préfère les matières mêmes que nous pouvons facilement contraindre à vibrer.
— « Que pensez-vous du sous-titre? »
—- Je crois qu’il est souvent mauvais mais nécessaire .également. Son rôle est comparable à celui de la ponctuation : clarté et repos. Il peut aussi avoir une action positive : permettre la suppression d’une longue scène ennuyeuse. La question est d’ailleurs secondaire : avec ou sans sous-titre on peut faire d’excellents films. Maintenant la vogue est à la suppression des sous-titres comme au montage accéléré.
— Cependant, la succession rapide d'images est un procédé puissamment suggestif.
— Griffith l’a trouvé . Gance l’a perfectionné. Employons-le judicieusement. Mais attention à l’épidémie!
— Et les acteurs?
— Ce sont des cas individuels. Pour certains rôles, il paraît sage de s’adresser à des personnes qui ont pratiqué la technique théâtrale; pour d’autres à des interprètes « nouveaux ». Au metteur en scène de les adapter tous à l’expression cinématographique. ..
Allô... Déjà... Hélas...
Pierre BOURGEOIS.
MUSIQUE Serge Prokofieff à Bruxelles
(Concert Populaire du 16 et Récital du 22).
Unissons ces deux manifestations musicales dont Prokofieff fut le héros. De la première, en effet, le restant du programme exige beaucoup plus ou beaucoup moins qu'un compte-rendu rapide; Men- delssohn, en un certain sens manager et sauveur de Bach au XIX <J siècle; M. Herberickx, prix de Rome pour la couture (de lieux-communs musicaux).
Sur le pianiste compositeur se concentra l’attention. Sa personnalité mérite une étude. Voulez- vous une recette? Mélanger du savoir, de la probité, de la virtuosité et de la vulgarité. Résultat : Prokofieff. Allons-y! En vertu de la sonorité de son nom (9/10) et de la brutalité ordinaire des accords (1/10), chacun dit à sa voisine durant les intervalles du concert ; « C’est bien russe ».
Georges Monier répondrait : « Comme les frites de même appellation ». Songez donc au Concerto et au Récital : l'impression dominante n’est-elle point la connaissance de ce qu'est la musique pia- nistique? Tous les noms illustres et les trucs les plus anodins comme les plus spécieux. Cet homme a beaucoup étudié. Il aime et utilise ceux que sa
ferveur a approchés : contemporains ou ancêtres, russes ou étrangers. Que de fois en l'écoutant n'évo- que-t-on pas Liszt ou Schubert aussi bien que les derniers venus du modernisme! Pour tout musicien averti, plus que révélateur d'un esprit racique, Prokofieff est témoignage d'une grande expérience musicale. Suggestif à cet égard le Concerto du Populaire construit magistralement selon la compréhension classique pour la partie soliste, tandis que l'accompagnement s'amuse à combiner les procédés chatoyants d'orchestration nouvelle. Ainsi interprète remarquable par la précision diverse de son jeu — Prokofieff est un compositeur qui, selon l'expression admise — connaît son métier. Cette expression n'est pas heureuse. Disons qu’il connaît de multiples choses. Savant, oui. Mais le véritable métier du compositeur c’est la puissance de révéler, sous des aspects nouveaux, une personnalité. Des réserves s'imposent ici. De la mécanique sans âme, Prokofieff passe souvent à la vulgarité. L'irrésistible instinct créateur qui doue de vie, de communion sentimentale les plus « baroques » inventions d’un Stravinsky, ne paraît pas animer les polytonalités savantes de Prokofieff. D’autre part, quelle vulgarité en certaines compositions! Prélude op. 12, objet d'enthousiasme des adolescents rêveurs (virtuosité pour gnangnan) et du critique musical qui, dans le Soir (pour demain mais surtout pour avant-hier), signe J. D. (J. D. == Juriste Dormant, Demi-Solde ou Dédi- maté).
Cette dualité qui caractérise Prokofieff : savoir et mauvais goût, emploi d'un métier sûr et de toutes les recettes modernes ou autres ; arpèges, glissandos, etc., etc., trouble l’amateur de musique nouvelle.
Ce n'est pas en flattant la nonchalance du public que l'art se métamorphosera. Que les compositeurs écrivent d'après la dictée de leur cœur et de leur intelligence! Prokofieff, attention aux applaudissements! La voie de votre cinquième sonate op. 38, encor que pleine d'embûches, conduit sans doute à la musique d'une façon beaucoup plus directe.
Intérim.
UN EXEMPLE
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Tiré de « JEUX OLYMPIQUES » oeuvre nouvelle de Georges Monier.