Numéro
TROISIEME ■ SAISON ■ 1924 - 1925
11 DECEMBRE 1924
■ BUREAUX : ■
B" LÉOPOLD II, 271, BRUXELLES
HEBDOMADAIRE D’INFORMATION ET DE CRITIQUE P. BOURGEOIS, V. BOURGEOIS, P. FLOUQU
CHÈQUES POSTAUX
V. BOURGEOIS 108,016 ■Téléphone :685,67a
K. MAES, G. MONIER.
Carnet d’un Citadin
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Esprit de routine et activité moderne :
XVIII e exposition internationale de
locomotions mécaniques. Le salut de
la forme pure par Vesprit sportif
ou Vapplication industrielle.
Nous appartient-il d’analyser une exposition technique? Curieux des diverses expressions qui agissent sur l'œil et l’âme modernes, nous devons nous intéresser à ce salon que l’on dit « de l'auto- mobile » mais qui commence à l’avion et au canot pour se terminer à la librairie et à la parfumerie, en passant par la télégraphie sans fil et les machines-outils. Que d’exposants! Ambitieuse et vaine serait une critique détaillée : efforçons-nous de rechercher quelques généralités. Le règlement de ce salon donne au Comité exécutif la dictature de la décoration. Principe excellent. A une condition toutefois : c’est que ce conseil cède à un artiste aussi ingénieux que puissant la mission de réglementer cette question d’esthétique publicitaire. Ce problème délicat ne tenterait-il pas maints praticiens de l’art de construire et de présenter? Le catalogue ne cite pas le nom de l’architecte qui a dirigé les installations. Nous devons ayfeuer que cette omission est heureuse, les halls présentant simultanément manque de goût et de verve. Une formidable dépense d’électricité, notamment, sans création d’une vie lumineuse douée de style pittoresque. c’est-à-dire d’opulente invention sans anarchie! Or, condamnable en toute architecture permanente, la faconde créatrice convient aux expositions. En ce lieu de commerce exaspéré : publicité à haute tension, un esprit doit dominer synthétique toujours d’exaltation chatoyante. Et sans doute est-il ironique qu’un comité réclame une dictature pour organiser la banalité! Notons cependant que, dérogeant au règlement, quelques stands d’accessoires affirment une certaine volonté d’originalité, de sagesse donc. Hélas, que de timidité!
A une même conclusion aboutit l’examen des objets exposés.
La carrosserie de luxe végète dans son aristocratie. Ses formes sont souvent pures, rarement maniérées : de leur contact résulte une impression exquise de puissance souple et hautaine. Toutefois cet art participe déjà au musée : degré péniblement acquis d'élégance, il constitue l’endroit ambigu d’où s’aperçoit déjà le classement archéologique ou classique.
Impatientes de se renouveler, les matières attendent ailleurs l’aventure esthétique. A cet égard, l’esprit sportif conserve un attrait excellent. Le besoin de vitesse, fils d’audace, impose au constructeur de modifier les formes : nulle machine plus que l’auto de course ne s’est métamorphosée au cours de son existence. Combien de fois associa- t-elle en son contour la force et l’imprévu! Saluons l’anxiété d’aller plus vite qui maintient — intense — la vie plastique des autos.
Mais voilà qu’un autre facteur, s’alliant à l’engouement sportif, entre en action : les nécessités économiques. Oui, la volonté sociale impose des lignes nouvelles.
C’est l’histoire de la voiturette. Notre époque ne tolérant aucun privilège, pas plus celui du vote que celui de la voiture, depuis longtemps un effort sourd tend à démocratiser l’auto. D’où, des petites machines économiques et l’invention de ravissants dessins. Nées de la gêne et pour le travail (docteur, architecte, voyageur de commerce), les voiturettes attestent actuellement le plus grand souci de sobriété et de perfectionnement et devant elles l’esprit attentif goûte le plus savant plaisir de regarder.
Deuxième influence des lois sociales : l'automobilisme pénètre la vie industrielle. Quelle espérance pour l’œil : la diversité des fonctions n’amènera-t-elle pas dans les véhicules la variété la plus émouvante étant sincère toujours? Matériel de brasseur demande autre ligne que magasin de nouveautés. Songez à la puissance harmonieuse (conductrice : cerveau) du petit tracteur devant le camion plantureux et accort. Le perfectionnement du transport industriel contribue directement à l’amélioration esthétique de la rue : aussi avec quelle colère ai-je constaté le désintéressement des visiteurs vis-à-vis de ces progrès précis et précieux de la vie ouvrière et de la beauté urbaine.
Ainsi, le jeu et le labeur s’accordent en le même destin, tantôt pour la plus grande joie de l’adolescent sportif, tantôt pour la moindre peine du travailleur. Mais toujours pour offrir au citadin qui passe une brève invitation à l’émerveillement.
Puisse un prochain salon de l’automobile accu-1 ser cette saveur du nouveau ordonné en quoi nous désignons le signe suprême de la vie!
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I.
Le vendredi 12, à 20 h. 30, au Cercle de la Renaissance d’Occident (Taverne Britannique, rue de Louvain, 32), Pierre Bourgeois parlera de « Poésie ».
IL
Après son exposition d’octobre dernier, où un sérieux effort moderniste s’était fait jour, Le Foyer des Artistes, cercle d’études des élèves de l’Académie de Bruxelles, organise pour cet hiver, une série de conférences publiques qui auront lieu le dimanche, à 3 h. 30 de l’après-midi, à la Brasserie du Jeu-de-Balle (salle au premier), 32, place du Grand-Sablon.
Le dimanche 14 décembre, Pierre Bourgeois parlera d’Architecture.
III.
Le jeudi 18, à 20 h. 30, en la Salle Nouvelle, 11, rue Ernest Allard, séance de la Lanterne Sourde.
Conférence d’Aug. Vermeylen sur : « L’art et les lettres de la Flandre d’Aujourd’hui ». Un droit de participation aux frais de 1 franc sera perçu.
Aux Editions du « Disque Vert »
(Bruxelles)
Le Dernier Homme
de Max Picard
(traduit de Vallemand par Piet Heuvelmans)
Une angoisse, aujourd’hui, la sensation d’une essentielle incertitude, le pressentiment de quelque attentive menace étreignent ceux qui veulent concentrer en eux, pour la transmettre aux hommes, la vie actuelle du monde. Toutes valeurs sont remises en question; à l’ordre ancien se substitue un ordre nouveau, et ce n’est pas dans la joie. L’avenir humain et, plus immédiatement, les étapes même du devenir humain, permettent bien de l’anxiété. Et notre plus proche passé, pour le bien et le mal, montre l’homme si étrangement armé, qu’à cette angoisse nul ne se peut durablement soustraire.
Diversement ressentie, elle affecte tout artiste occidental. La travestir, se refuser à l’exprimer, en combattre l’emprise, ou simplement la traduire, ne sont que manières de reconnaître sa présence.
Réactions diverses, devant un même fait.
Max Picard a ressenti jusqu’au paroxysme cette inquiétude et, avec une sincérité brutale, vient crier à l’homme ce qu’il est, et la lente, irrémédiable déchéance qu’il se prépare ;
Les êtres qui aujourd'hui ont l'aspect de l'homme, ne sont pas des hommes.
Ils n'ont que l'aspect de l'homme.
Ils ne DOIVENT plus avoir l'aspect de Vhomme.
Ils PEUVENT encore avoir cet aspect.
Il semble que cela soit encore permis.
Ainsi débute le livre de Max Picard, œuvre d’amertume et de pessimisme si grands qu’ils ont voulu, pour s’exprimer, des images d’épouvante et de de dégoût, une vision inhumaine et insupportable de l’humanité. Et comme aboutissement:
Des êtres sphériques, quelques êtres sphériques, rouleront sur le pré ou nulle Heur ne pourra pousser. Les êtres sphériques arrachent toutes les fleurs en se vautrant lourdement sur les prés... Les montagnes, même les montagnes ont été arrondies...
Et de même que jadis, au large des Echinordes, les pêcheurs entendirent une voix dolente crier : « Le grand Pan est mort! » ainsi l'être sphérique écoutera croasser une voix dans le phonographe : « L'homme est mort! »
Le terrible pamphlet! Le dur, impitoyable avertissement. Le Dernier Homme est un livre étouffant. Ce qu’il nous fait voir, caricaturé par la colère et l’effroi, ce qu’il évoque, monte en nous comme un nuage de tempête, massive architecture sombre, mais frissonnante d’éclairs.
La pensée de Max Picard, cruelle par sa seule clairvoyance exaltée, par l’hallucination lyrique du poète, est brûlante d’une violence prophétique. Ce livre où l’amour en son désespoir s’exprime avec la plus âpre rigueur serait une sorte de modernes Psaumes de la pénitence, si du milieu de cette détresse jaillissait un appel. Mais nul recours ne semble possible. Une logique passionnée, nous montre, net comme le verdict d’une formule, le chemin par lequel descend l’homme. Et, sur ce chemin, l’endroit où nous sommes. De remonter la pente, un espoir nous reste-t-il? Max Picard, écrivant à la dernière page de son livre : L'homme est mort! montre qu’il n’y croit point.
Certes, une clarté subsiste en son esprit. Une joie, persiste aux côtés du dernier homme. Une figure attirante, Véronique, reste près de Max Picard, lorsqu’il écrit ces pages amères, et elle lui dit de belles, de mystérieuses paroles, tremblantes et courageuses à la fois, séduisantes de vie. Mais le sourire de cet être au nom féminin qui paraît attendre un réveil, croire en un renouvellement, ce sourire, Max Picard, n’est-il pas illusion lui- même — ne signifie-t-il pas une dernière erreur?
A la femme qui sourit et qui semble taire encore de rénovatrices promesses, à celle qui espère encore, en cette sombre annonciation, de purs lendemains, vont instinctivement nos demandes anxieuses. Mais que sait-elle? Et n’est-ce pas une autre raillerie du poète, la plus désespérante, que d’avoir en un coin de ce mortel tableau, animé par contraste la ferveur?
Cette conquête de l’homme par le mécanisme qu’il aura voulu s’asservir, qui n’y a songé? Mais personne aussi vivement que Max Picard ne nous en a fait sentir le péril. Et la conquête de la nature par les travaux des hommes, le développement des êtres de pierre ou de métal, leur présence tyrannique, leur exigence croissante — née des abdications successives de l’humanité...
Ce serait méconnaître la valeur et le sens même d’un tel livre, que de lui .imposer un but strictement limité. Max Picard, dans Le Dernier Homme, n’a pas entendu lutter spécialement contre ce