Numéro

18 DÉCEMBRE 1924

HEBDOMADAIRE DINFORMATION ET DE CRITIQUE

TROISIÈME SAISON 1924 - 1925

BUREAUX :

B D LÉOPOLD II, 271, BRUXELLES

CHÈQUES POSTAUX

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P- BOURGEOIS, V. BOURGEOIS, P. FLOUQUET, K. MAES, G. MONIER.

MUSIQUE

« Le Troisième Concert Populaire », sous la direction de MM. Joseph Jongen et Darius Milhaud , avec le concours de M. Moisewitsch, pia­niste

Limitons notre chronique à quelques remarques dintérêt général. A quoi sert-il décrire deux ou trois observations hâtives sur différents points? Un concert de composition éclectique nexiste que dans lindividualité des morceaux. Souvent, un auditoi­re même attentif est véritablement étranger à toute une partie du programme. Les sons se déve­loppent et senchaînent dans un espace auquel il na point accès. A proprement parler, combien de spectateurs sont absents! Dautre part, le nombre des distractions artistiques impose au critique de mesurer son temps : arrivée tardive, départ pré­cipité. Dans le journalisme quotidien cela ne peut pas empêcher la livraison dune critique complète. D autres méthodes sont employées dans le pério­dique dart. Tout ceci pour justifier le caractère fragmentaire de cet article.

Le pianiste Moisewitsch a obtenu un succès quasi triomphal. Vélocité et romantisme. Ne di­sons point que cette virtuosité est dominatrice. Cette mécanique étonnante révèle létat d'esprit petit bourgeois. Moisewitsch? Joseph Prudhomme jongleur et russe. Emphase et sonorité. Jamais, nous ne devinons une sensibilité désireuse de nuan­cer la complexité de la vie. Sentimentalisme de roman-feuilleton. Ovations. « Ce qui ressemble le plus à une concierge est une baronne », me souffle un ami furieux de voir lenthousiasme des loges. Prière à Tschaikowsky, auteur du concerto joué, daccueillir en sa tombe la part considérable la plus grande sans doute qui lui revient de cette médiocrité. Un livre à écrire : De la vir­tuosité ou le gâtisme agile.

La Deuxième Suite Symphonique de Darius Milhaud a été, nous dit le programme, composée de 1913 à 1919. Le labeur est manifeste. Qui ne sympathiserait avec le principe dun tel effort? Hélas le résultat paraît indiquer que trop hautes ont été les ambitions. Quoique une oreille musicale puisse découvrir aisément lintelligence dun sys­tème. cependant lœuvre nexiste dans le souvenir quà létat diffus, chaotique. Bien que les 5 parties soient brèves, cest long. Suite. Mais les maîtres vont vite. Serait-ce la suite de Vessoufflement? Je le répète : la curiosité passionnée dune tentative appelle reconnaissance, mais convenons quun es­prit moderne doit demander dune œuvre plus dirrésistible sûreté, plus de POUVOIR. Est-ce un mirage? Nous aurions souhaité à la direction de lauteur cette même qualité. Il nest dailleurs au­cunement exigé dun compositeur de se distinguer comme chef dorchestre.

Dans une interview accordée au quotidien lié­geois « La Wallonie », Milhaud insistait sur la nécessité détudier la technique. Nous nous per­mettons de lui rappeler aussi quun musicien ne doit pas donner dopinions sur les hommes quil ne connaît pas. On sexpose en effet à proférer des enfantillages. Cest ce qui est arrivé à M. Milhaud.

« Que pensez-vous de la jeune musique belge?» Darius Milhaud cite Kinet, de Charleroi , Collard , musicographe. Nous citons Monier , Perceval , Mee- sens. Darius Milhaud louange Meesens , déclare les autres « très gentils » et insista sur la nécessité détudier... »

M. Milhaud, vous êtes un critique gai. Quelle que soit lopinion que lon puisse avoir sur la jeune musique belge, vous avez écrit une sottise. A Monier et Perceval on peut appliquer avec plus

ou moins de justice de nombreux adjectifs élo- gieux ou sévères. Mais Très gentil est sans doute lexpression la plus radicalement impossible. Dau­tre part, il est plaisant de féliciter un jeune musi­cien qui se vante de ne rien connaître, précisément dans une phrase lon proclame la nécessité de la technique. Et cela devient tout à fait ridicule quand, par comparaison, on adresse ce reproche à Monier et Perceval. Pourquoi navez-vous pas ré­pondu, M. Milhaud, au journaliste liégeois, que vous ne connaissiez pas ces musiciens? Vous êtes tout à fait excusable. Pour employer un euphé­misme, votre pays ne met pas autant dempresse­ment à nous étudier, que nous à vous recevoir et à vous fêter...

Intérim.

Le Mouvement des idées

ANDRE LHOTE

eonférencie à Ceux de Demain

André Lhote a le talent de penser avec distinc­tion. Nul instinct dorateur, ni ferveur dapôtre. Texte et voix tendent au charme. Dans la fré­quentation de lélite, ne voilà-t-il pas une heu­reuse tactique? Convaincre par lélégance sied à qui occupe la tribune de « Ceux de demain ». Ainsi puisquelle réalisait en nuances la mission choisie, excellente fut la conférence du peintre français. Tout esprit agressif étant banni, les idées paraissaient, sornaient et sestompaient. Le texte, gracieux, était assez paradoxal pour séduire les spécialistes et assez élémentaire pour satisfaire le public.

Nos lecteurs savent que nous nous efforçons de les tenir au courant des théories esthétiques des milieux modernistes. Cest pourquoi, dans le

numéro 23 de notre deuxième saison, nous avons signalé et commenté les principes quAndré Lhote défend sous le nom de « Cubisme sensible ». Nous avons, à cette occasion, fait les réserves que cette doctrine nous paraît appeler.

Que lartiste ait le droit de renier complètement la réalité photographique pour composer un mon­de nouveau : « le phénomène plastique » qui substitue aux données de la vue celles de lintelli­gence inventive et organisatrice, ce nest point ici que nous le contesterons. Mais la notion du « désintéressement sentimental » est curieuse. Faut-il aborder une toile en rejetant de la mémoire toute la saveur du spectacle qui la inspirée? De­vant un nu je nai pas le droit de me souvenir du plaisir de la chair. Si cette attitude paraît rai­sonnable comme moyen provisoire de diffusion moderne, il me semble quelle dénote un singulier état desprit si on lui attribue une valeur absolue. Au peintre qui utilise les éléments naturalistiques, un seul critère est applicable : la comparaison avec la vie intérieure qua suscitée le contact de ces événements eux-mêmes. Un tableau qui sintitule « Chemin de fer » rencontre immédiatement mon passé de voyageur. Dès quil soffre à moi, je suis sentimentalement engagé.

(La plastique pure demande un autre jugement. Cette fois le peintre, unique amant dune orga­nisation de lignes et de couleurs, dénomme son œuvre : Composition Numéro ...)

Ainsi lexposé de M. Lhote éveillait des idées...

Le cubisme? Prolongation de lImpressionnis­me. Ce quest pour la Belgique Breughel, Poussin lest pour la France.

Ces opinions nécessiteraient de longues ana­lyses. Contentons-nous démettre quelques obser­vations à propos de la seconde. Elle contient tout le danger du néo-classique. Prenons garde aux symboles historiques. Si Breughel se montre sou­cieux de puissance inventive, Poussin, quel que soit son talent, signifie lesclavage de lantique. Force dordre, oui. Mais nous demandons un ordre nouveau. En désignant Poussin, Lhote semble accorder à la nécessité de COMPOSER plus de crédit qu'à celle de TROUVER. Funeste mirage! Montrer amoureusement lorganisation géo­métrique des œuvres classiques, nexpose-t-il pas à diminuer la soif de nouveau? Sans doute est-il bon de constater que lultra-modernisme possède de profondes correspondances avec maintes inter­prétations historiques. Nexagérons pas cependant. A la sortie de la conférence, un auditeur partisan des arts traditionnalistes déclarait que la célébra­tion des œuvres classiques avait heureusement con­formé sa position. Sattachant à juger selon le besoin dordre, Lhote endort la vertu de linédit. Son « Port » quil nous montra échappe heu­reusement à ce péril mais que de jeunes artistes français y ont cédé!

Pour inculquer à la jeunesse le goût de livresse géométrique ardeur à définir le secret « orga­nique et architectural » de tout ce qui soffre à nos yeux, il me paraît plus fécond de paraphraser un panorama vivant ou une machine que dana­lyser, même avec un art dune puissance exquise, quelque sculpture romane ou un dessin dIngres.

P. B.

La Lanterne sourde

Par suite de circonstances imprévues, la confé­rence de M. Vermeylen, qui devait avoir lieu ce jeudi 18, est reportée à une date ultérieure.