TROISIEME
M& C.
1924 - 1925
25 DECEMBRE 1
I BUREAUX : ■
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CHÈQUES POSTAUX
V. BOURGEOIS 108,016 «Téléphone :685,67a
P. BOURGEOIS, V. BOURGEOIS, P. FLOUQUET, K. MAESi G. MONIER
Impromptu urbanistique . — La grande pitié de
Bruxelles, selon le jugement des fonctionnaires
de la périphérie.
L’actualité nous incite à paraphraser brièvement an problème inquiétant : comment organiser les déplacements à travers une agglomération surpeuplée?
Typique est le cas du grand Bruxelles. Près d’une demi-heure est nécessaire pour le franchissement de cinq kilomètres dans la direction la plus favorisée. Nul moyen de locomotion mécanique b’ existe en effet pour l’employé ou le prolétaire, sinon de lourds tramways qui adoptent souvent, faut-il le constater, des tracés fantaisistes et dispendieux. Ce fait entrave le développement de notre ville. Dans toutes les autres capitales européennes, cette même distance de 5 kilomètres se franchit, grâce aux métropolitains , en cinq ou dix minutes. Quelle promesse de sain élargissement vers -a banlieue sans que ne soient compromises et la vie familiale et l’activité technique! A Bruxelles, un employé qui habite à cinq kilomètres de son bureau ne peut rentrer dîner chez lui qu’au plus fâcheux risque de son estomac. C’est pourquoi un homme d’oeuvre n’envisage qu’avec crainte lie grignotement, si nécessaire pourtant, de la campagne : en créant des quartiers nouveaux au grand air pur des champs libres, on expose la vie normale (professionnelle ou sentimentale) des habitants. Or, si un chemin de fer électrique gagnait le centre actif de la cité en quelques minutes.
Tout est là. La santé publique exige que nous puissions capter chez lui l’atmosphère réparateur dles communes rurales; la vie commerciale et la quiétude familiale s’accordent à souhaiter une telle progression. Devant d’aussi pressantes sollicitations, pourquoi n’agit-on pas?
Raison bien simple : la solution, étant grandiose, demande le courage de sacrifier des intérêts particuliers. Si les habitants des communes éloignées ne peuvent accomplir avec facilité leur existence sociale, ils le doivent à l’action des propriétaires des hôtels et des grands immeubles situés près des gares centrales. Ces Messieurs ne veulent pas que l’agglomération adopte de nouveaux axes de transport qui permettraient l’arrivée et le départ aisés de tous ceux qui doivent quotidiennement se rendre au centre de la ville. Or, ce bouleversement s’impose. A quiconque s’inquiète d’urbanisme, il paraît en effet que le mal dont souffre Bruxelles nécessite une médication radicale. Mais il est urgent de se rallier à cette thérapeutique sévère. C’est pourquoi cette question de toutes parts déborde le sens de cette improvisation hâtive.
Nous y reviendrons. Un des T rois.
Du 27 décembre au 6 janvier, « LUMIERE » présente à la Galerie Louis Manteau, 62 Boulevard de Waterloo, un salon de BLANC ET NOIR, d’artistes français, hollandais et belges, choisis parmi les plus caractéristiques :
JAN FR. CANTRE, CHARLES COUN- HAYE, RYB. A. DOBOIS, FAUTRIER, GALA- NIS, JOSEPH HECHT. HERMANN PAUL, J. E. LABOUREUR, MARIE LAURENCIN, CONSTANT LE BRETON, LURCAT, FOKKO MEES. JORIS MINNE, FRANK MORTEL- MANS, MORIN JEAN, LODEWYK SCHELF- HOUT, HENRI VAN STRATEN, RAYMOND THIOLLIERE.
Vernissage, Samedi 27 décembre, à 2 heures.
CONRAD KICKERT
AU CENTAURE :
Peindre!
Lumière faite matière le pigment coloré offre sa pureté prête aux naissances.
Manœuvre divine donc que d’en subjuguer le lyrisme et plier la fraîcheur au chant subjectif de la création.
— Confit en la puérile chimie des préparations scolastiques, Kickert semble ignorer le parfum puissant des essences. Proposant la gamme classique — ô nouveauté! — il en restreint encore l’éclat par la pratique; sous le prétexte commode d’atteindre au maximum de constructivité picturale.
Ignore-t-il vraiment que puissance et solidité d’œuvre résident en la totale possession et composition, et qu’une œuvre doit être vécue cérébrale- ment avant que s’objectiver.
Le métier (?) seul, ici, soutient des qualités caillées de routine. Ponçages, grattages, glacis, fro- tis, repeints, etc., alimentent bien plus que quelque désir secret et ardent de créer, la poésie gâteuse de cet art.
Pigment coloré fut-il jamais à ce point dépucelé? La vertu tonique des couleurs ne résiste pas à la « science » de Kickert et se noie irrémédiablement en les « jus » qu’il prodigue.
Or, ce peintre prétend que telle technique rend « plus immatérielle la matière ».
Absurde! Immatérialiser la matière n’est point l’amoindrir par macérations, la truffer et salir pour des buts facilement imitatifs. Mais la réalisant en ses propres vertus, l’animer d’harmonie, la muer en beauté. y
Le capital linéaire dont dispose Kickert est également restreint. Un même équilibre s’adapte à divers paysages. Et nous voyons même qu’une* ligne d’un même sentiment exprime ici un grand- duc et là un nu couché dont les sonorités étouffent à fleur de surface sans se réaliser.
S’il faut conclure, disons : l’art de C. K. vit de recettes...
Grâce à lui, ce jour, le « Centaure » sent la cuisine! P. FLOUQUET.
Un ancien vu par un moderne , Rembrandt vu par Marc. Eemans.
Causerie au « Foyer des Artistes », à la Brasserie du Jeu-de-Balle, 32, place du Grand-Sablon, le dimanche 28 décembre, à 3 h. 30 de l’après- midi. L’entrée est libre.
(Deuxième article.)
Les lecteurs de 7 Arts se rappelleront que Vabondance des articles d'actualité nous a obligés, la semaine dernière , à faire une coupure en l'article consacré à la critique de DE MAN ZONDER LÏJF.
Abordons les scènes.
Faut-il le dire? Le fond de ce « SPEL DER DUBBELGANGERS (« jeu des doubles ») même, ouï surtout au second acte « expressionniste » fut foncièrement impressionniste ; analyse, analyse, analyse. Nous avons dit : le fond... Heureusement, l’analyse ne fut pas poussée jusqu’à sa dernière conséquence et échoua en tant qu'analyse.
D’ailleurs — et n’est-ce pas un fait caractéristique qui prouve pour « de man zonder lijf » — des spectateurs ne comprenant pas un mot de néerlandais eussent pu, dans une large mesure, subir l’emprise de ce jeu et en jouir.
MAIS, ce jeu se voulant riche, fut « trop riche, grave défaut. Teirlinck voulut trop donner; aussi trop de détails, détails fantaisistes bien souvent et « pittoresques », destructeurs car morcelant le rythme général. Teirlinck surchargea son drame d’une infinité de détails, qui n’ont que faire en leur ambiance. D’autre part, il omit de souligner certaines parties des compléments les plus indispensables; il y a comme des trous, des vides réellement contrôlables et très pénibles pour * l’esprit, qui veut de l’unité dans la variété et de la variété dans l’unité.
. ^ lisserait vain, sans doute, que de tenter d’énumérer tes divers * passages qui, au cours de ces trois actes, nous émurent profondément; rappelons spécialement la trouvaille géniale des « grands- parents»; le tact délicieux avec lequel est conduite, au premier acte, la déclaration d’amour de la jeune fille; le merveilleux dédoublement de la force dualiste ; « Jakob »; au second acte, 1e prédicateur dans le vide : « ik kom! », la fin du troisième acte, etc.
L’unique moment où tes acteurs franchirent la rampe pour passer dans la salle (fin du second acte) fut, — considéré aux points de vue psychologique et idéoplastique, — fort bien choisi. Après la scène de la flagellation, amour de la matière, compénétration de la scène activiste (oui, typographe!) et de la salle, matière à pétrir.
Hélas! qu’à ce moment-là — violant les us et coutumes du lieu — nous ne pûmes matériellement pas exécuter notre désir spontané de prendre d’assaut un des réflecteurs afin de le braquer sur la salle et de noyer les spectateurs dans un remous de vagues multicolores!
Logiquement, il eût fallu, à cet instant-là, trois réflecteurs opérant simultanément, mais avec lueurs réciproquement contrastantes, de sorte que, par exempte, le croisement des rayons colorés primaires eût pu produire, aux points d’intersection, toute la gamme des couleurs secondaires; trois réflecteurs, disposés en triangle et dont un sur la scène, dévisageant les spectateurs.
Et quelle insensibilité ou quelle pudeur ou timidité empêcha la foule-matière de saluer d’un sauvage cri de joie ce retour à la terre de l’enfant prodigue, tel la foute des aérodromes acclame et absorbe, gourmande, à son atterrissage le conquérant de l’air?
Que dans tous ces jeunes vieillards sérieux qui, au théâtre, font la petite-bouche et goûtent « avec mesure » aillent voir au GUIGNOL des petits, comment ces derniers, en leur hardie tendresse pour l’objet de leur amour, en 1e franc rire et la fine compréhension du grotesque, en leur sincère enthousiasme et leur convoitise ou répulsion sans gêne, par un irrésistible acte-réflexe collaborent au rythme du jeu et inventent spontanément la VIE THEATRALE en châtiant «le traître» au moyen de pommes pourries, de pelures d’orange et de tout ce qui leur tombe sous la main.
Et quelle sera notre conclusion?
« De man zonder lijf » contient tant de promesses qu’on lui en veut de ne pas les avoir exécutées toutes. Cette œuvre, en somme, trompe notre désir; elle nous fait à ce point entrevoir — à portée de la main — le possible , autrement fort que la prestation réelle, que notre esprit reste non satisfait et qu’il reprocherait presque à cette œuvre de lui avoir ouvert ces trouées vers la PERFECTION. Presque atteint, pas atteint. Et ne serait-ce là le plus bel éloge qu’on peut faire de cette œuvre, éloge qu’assurément peu de pièces dramatiques méritent ; que d’avoir éveillé en nous la vision du paradis perdu et le désir de l’unique perfection?
Victor SERVRANCKX.