Numéro

TROISIEME SAISON! 1924 - 1925

B D LÉOPOLD II, 271, BRUXELLES

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P. BOURGEOIS, V. BOURGEOIS; P. PLOUQUET» K, MAES, G- MONIER.

Notre enquête internationale

Le mouvement moderne en Roumaine

Cabinet

Son intérêt s'applique aux moindres choses. Décors et accessoires joue un rôle important en l'élaboration de l'œuvre comme en la vie. Cherchant à établir l'identité périlleuse de l'être et du milieu, il encadre chaque type du décor qui lui est propre, rythmant leurs qualités pour les mieux fondre.

Dans tel portrait de chirurgien , toute une in- trumentation professionnelle est utilisée, moins pour ce qu'elle possède de suggestif que pour la qualité métaphysique quelle libère par un jeu dallusions et de formes précieuses. Cette abon­dance documentaire évite d'ailleurs l'anecdote, et bien au contraire se résout en un simplicisme atti­rant pour la purification du quotidien et du banal qu'il nous propose.

Dans une autre œuvre, pour parvenir à l'unité psychologique, plusieurs visages, si différents quils se complètent, construisent en la toile une ara­besque révélatrice.

Maître de sa main comme de sa pensée, Dix possède la plus sûre des techniques. Sa couleur est intime à force d'exactitude. Dure sans rai­deur, unie sans uniformité elle vit la forme avec tant de minutie qu'elle donne à la ligne son vrai sens de limite expressive des corps. Dépouillée, concrète, directe, la taille de ses eaux-fortes, tou­jours égale en puissance révèle un sens graphique des plus sûrs, vraiment apte à traduire le com­plexe psychique.

Plus universel qu'un Goya, plus aigu qu'un Lautrec, plus profond qu'un Rops, tout d'analyse et de relativité, de possession et de renoncements, de lyrismes et de refus, Dix est moderne pour tout ce quil affirme et tout ce qu'il renie.

Or, en cette pureté, en cette illumination d'ana­lyste, si volontaire quelle semble parfois vivre dindifférence, lart de Dix natteint-il pas à la contemplation?

Mais qu'il ironise ou quil gouaille, malgré tout, bien au fond, beaucoup damour vibre en cette amertume qui se veut mécanique. Beaucoup dhumilité ploie en cet orgueil d'analyste qui se veut sarcastique. Et de tout ce cynisme appliqué à définir le vice intime et latroce vanité des épo­pées guerrières rayonne, essentielle, l'initiale pu­reté.

Pierre FLOUQUET.

Le Monologue intérieur et le Roman

Les artistes roumains ont contribué, plus qu'on ne le sait, à la nouvelle orientation de lart et de la poésie en Europe. Etant obligés par un milieu réfractaire traditionaliste à quitter leur pays, l'ac­tivité quils ont déployé ailleurs a été entièrement acquise à lhonneur des pays dadoption.

Personne ne songe à contester à Brancmi , par exemple, un rôle de précurseur et de maître de la sculpture moderne française. Ce grand primitiviste et abstraitiste, dont les disciples sont Àrchipenko et Lipschitz plus illustres que lui-même, passe pour un des meilleurs sculpteurs.

Cest aussi Tristan Tzara et Marcel Janco *, con­sidérés comme français et suisse, avec Bail, Huel- senbeck, Arp, qui ont fondé le mouvement Dada faisant paraître la revue Dada à Zurich, avec la collaboration de toutes les jeunes forces du con­tinent vers la fin de la guerre.

Le poète, prosateur et polémiste Ion Vinea se fit alors déjà rcmarqüer~en réformateur îoüma'in. Actuellement, Vinea est, à côté de Marcel Ianco, à la tête du mouvement de la revue ContinporanuL Il représente aux yeux des jeunes littérateurs de Roumanie ce qu'est Marcel Ianco pour les nou­velles générations des peintres et sculpteurs du même pays : point de mire de discussions souvent acharnées. Les deux chefs sont l'objet de beau­coup damitiés, mais encore plus de haine de la part des impuissants passéistes. Le genre moderne ironique et fantaisiste était aussi représenté par un grand talent, le poète Hutmuz, malheureuse­ment mort jeune. Aussi se sont-ils groupés autour du Continporanul des jeunes personnalités comme I. Barbu, B. Solacolu, Sergia Dan, G. Costin.

Parmi les peintres, il faut nommer le transilvain Mattis Teutsch, ancien collaborateur de Ma et Maxy, lun des plus ardents combattants de la cause des jeunes.

Ce qui compte ici pour un premier succès des jeunes c'est que ces peintres et sculpteurs ont der­nièrement été accueillis au Salon officiel.

Il faut dire que lart abstrait a toutes les chances de triompher bien vite chez nous à cause de l'art populaire qui y est essentiellement abstraitiste.

Nous comptons écrire une étude sur les tapisse­ries roumaines, audacieuses associations de cou­leurs et délire de lignes hardies mais élégantes; sur la poterie, sa bizarrerie, son originalité; sur la chanson populaire qui, par son expressivité déga­gée de toute logique et de tout développement ora­toire, justifie et rend possible la poésie des moder­nes roumains.

P. MlREA.

* C'est Marcel Ianco encore qui donna aux ar­chitectes en 1914 et 1915 les premiers exemples de cubisme dans l'art de construire.

N. D . L. R. Nous profitons de l'occasion pour saluer une nouvelle revue moderniste rou­maine « PUNGT » (Dir. Sclarlat Callimachi). Il nous paraît nécessaire également de signaler la récente exposition internationale d'art plastique, organisée à Bucarest.

V. Servranckx, J. Peeters, M. Darimont, Lem- pereur-Haut avaient envoyé des œuvres.

Etaient représentés également, des mouvements modernes allemands, suisses, suédois, tchèques, au­trichiens, etc., etc.

EXPOSITIO NS

graphique : OTTO DL. La Guerre

Pour Dix , non point le rire éclatant des offen­sives, le geste des panaches, l'âpre beauté des cica­trices ; mais la cathédrale des charniers, l'usine de mort, la machine à décetvellet. Analyste passionné, comment n'eût-il pas été séduit par le sombre lyrisme et la complexe entité des fureurs collec­tives, par le grotesque pitoyable de la guerre!

Il le fut, plus que quiconque. Et des pages d'unique intensité, confessions longtemps mâchées de hideurs et dimmense pitié, en naquirent.

Série « La Guerre » .* l'hédàtombe. Avance ; mort! Recul : mort! Des névroses de l'attente aux vomissements des assauts, on sent lordre ; mourir en tuant. Tous les assassinats .«héroïques. Toutes les manières de mourir, toutes; les morts, toutes les attitudes. Dans une boue de* cervelle, parmi les végétations horribles, anonyme! vivant ou mort, l'homme sèche, liquéfié, incorporé au sol...

Puis Dix contemple le retour, et sa joie faite d'orgueilleuse faiblesse et de Regrets. Les gestes désappris ou lhomme mime, C c|t-quil fut.. Ta xer- chute de la raison et l'essai de « revivre ». Et, encore, lenivrement rapide, la volonté de jouir, la ruée nouvelle...

Si fortement vécu, le sujet domine l'œuvre. Il s'y prolonge, impose son ordre et se réalise en puissance, sans souci des méthodes avantageuses et des formules.

« La Guerre ». Combien d'audaces ce thème permit-il à Dix! En la seule sincérité d'une ex­pression voulue totale, il innove sans lassitude, imaginant chaque page en sa réalité psychologique, et tout à tour selon la plus rare ou la plus som­maire des techniques. Réaliste avant tout, Dix ne commente aucune théorie politique. Sa série « La Guerre » est moins un pamphlet qu'un poème au néant, et, certes, c'est uniquement pour la forme paroxysée et directe qu'elle offre, que la guerre dut dêtre choisie et exploitée avec une telle maî­trise.

La guerre finie, cest à la vie que le penseur demande de dérouler ses plus obscurs méandres. A la mort vicieuse de tantôt la vie vicieuse sop­pose. Aux atrocités collectives, aux instincts libérés succède l'énigme individuelle, les fermentations secrètes, le vice couvé.

Volontairement, l'analyste fouille, dissèque, creuse faune et flore psychique, faul scrupule, nulle fausse pudeur ne restreint son désir. La somme entière de laideur doit être inscrite. Appliqué à en extraire la qualité commune, lépurant jusqu'à la synthèse, le vice semble devenir sien, tant il en possède la mécanique interne et les formes diverses.

Simultanément, en l'illumination patiente de l'analyste, et le désir du peintre, le sens panthéiste du vice orchestre lignes et tons du tableau. Or, ne serait-ce pas le vice idéal que situent certaines de ses œuvres, furieuses de beauté.

Cependant, le chantre de la pourriture et des grouillements inférieurs est aussi le peintre précis des caractères contemporains.

Portrait total, chaque visage, chaque type qu'il peint se démontre laboutissement synthétique dune multitude détats dure sa puissance. Pour réaliser cette vérité insoupçonnée, Dix utilise la déformation plastique avec tant de science quil confère au plus subtil sentiment une exactitude organique. Ainsi, au travers du caractère moral, artificiel, la constitution psychologique, nuancée, mobile, s'établit.

On a pu croire que la forme individualiste, et analytique du roman allait de façon plus ou moins durable et complète- être éclipsée par une autre forme, collective, si l'on peut dire, et synthétique.

Des écrivains, lassés du roman psychologique dont un seul être humain marque le centre, ont songé au renouvellement d'une base qu'ils esti­maient étudiée sous tous ses aspects. Ils ont créé le roman des foules, des masses humaines con­sidérées comme un être nouveau, possédant ses actions et réactions précises, agissant selon des lois encore mal connues, mais certaines. Tout le monde connaît les travaux du Docteur Le Bon sur la psychologie des foules, et sur Y âme collec­tive qui naît en tout groupe humain ; cette âme collective se manifeste surtout lorsqu'une grande pensée, un sentiment puissant, unissent en un commun désir les éléments individuels dont se compose une foule, qui atteint ainsi à l'état dyna-