HEBDOMADAIRE D’INFORMATION ET DE CRITIQUE
Numéro
12 FÉVRIER 1925
TROISIÈME ■ SAISONH 1924 - 1925
BUREAUX : 1
B D LÉOPOLD II, 271, BRUXELLES
CHÈQUES POSTAUX
V. BOURGEOIS 108,016 ■Téléphone :685,67 b
P. BOURGEOIS, V. BOURGEOIS, P. FliOUQUET, K. MAES, G. MONIER.
Carnet d’un citadin
Le commerce de l’imprimé : improvisation, incompétence et laideur . — Et cependant la librairie n’est-elle point asile de mille méditations esthétiques?
H est nécessaire que l’élite artistique exprime nettement son opinion au sujet de la diffusion des ouvrages de la pensée. Dans la vie urbaine, le commerce de l’imprimé joue un rôle sérieux : au centre enfiévré de la Cité, le grand magasin de nouveautés a son rayon de librairie et à la périphérie, le marchand de cigares ou de dentelles, à moins que ce soit de légumes, vend également à lire. Ainsi les économies extrêmes se rejoignent : Voulez-vous des romans? disent l’immense bazar de la capitale et la boutique dé banlieue. Inutile d’insister sur les différentes formes spécialisées : depuis l’édicule jusqu’à la vaste librairie universel - -4e, en- passant -par les établissements « scientifi- * ques », « juridiques », « livres d’art », ou autres. Notons toutefois qu’un double mouvement d’invasion semble se dessiner : le kiosque reçoit le livre et la librairie, le journal.
Ainsi nous constatons de l’agitation dans l’évolution économique de l’imprimé. Malgré la cherté du papier et les énormes difficultés de l’existence matérielle, production livresque considérable. Surproduction ou sous-consommation, diraient des économistes. A la librairie, premier prix d’encombrement et d’embarras de circulation. Si on pouvait, on mettrait des livres sur les poêles. En tous cas, dans tous les coins surgissent des tables. Et cela fait un tohu-bohu plastique, un ensemble inélégant, sinon affreux.
De tous les commerces, celui de l’imprimé atteste le plus caractéristique désordre. Pourquoi? La plupart des libraires n’ont qu’une conception très primaire de la clientèle. Tentés par un agrandissement factice de leur public et les demandes des gros éditeurs, ils cherchent des débouchés nouveaux. D’autre part, il est incontestable que les dépôts nécessaires exigent une place exagérée. Que le problème soit difficile, je l’admets facilement. Cependant, toute chose devant se présenter en beauté, surtout les produits de l’esprit, une solution doit être trouvée. Le livre où parfois dessinateurs et typographes ont mis tant d’expérience fervente, doit s’offrir au client épris d’art dans un milieu organisé selon des principes simples et attrayants d’esthétique commerciale. Au lieu de l’improvisation, une conception raisonnée. Un peu de réflexion sauverait la présentation de l’imprimé.
Il serait également nécessaire de veiller à la qualité des commis. On peut dire qu’en général, à Bruxelles, un commis qui vend des livres ne s’intéresse pas à ce qui s’imprime. J’ai pu demander vainement à un vendeur d’une maison qui a le dépôt général d'une édition, un livre récent de cette édition qui avait suscité des articles importants dans de grands quotidiens.
Ainsi, tant du point de vue de la « taylorisation » esthétique du magasin que du point de vue de la connaissance de l’article, la librairie bruxelloise n’a point encore quitté une phase grossière. Or il y a de l’argent et de l’intelligence au Cercle de la Librairie. Des cours pourraient être créés, des réformes imposées...
Un des trois.
Galerje Manteau
• . !
Maurice Utrillo
Une poésie particulière, faite de pauvreté volontaire, de foi libre, en quelque sorte gratuite; l’essence de la plus pure prière anime Utrillo, situant l’esprit aujourd’hui classique fie ce peintre.
Subissant comme en une sdrte de renoncement sensuel et mystique la séductiofi du vide, pour tout ce qu’il contient de divin; Utillo sut révéler, en le décharnant au point que <ie ne lui conserver qu’un squelette poétique, le lyrisme fané et la saveur acide des banlieues parviennes. Longue est la distance qui du cerveau mèlie au cœur. Lourd l’aveu. Etrange le chemin. Mail aussi, combien allègre pour qui l’explore l’amdir aux lèvres.
Recréant par le cœur ce qué conçoit l’esprit du peintre dès qu’il considère, pott soi et en soi, le capital prodigieux d’une nadre offerte, Utrillo restitua au paysage français L sensibilité exquise des grandes heures.
Aussi combien expressives et profondes les pages qui naquirent.
Qu’il peigne ces murs bas smblant ne prot éger que par habitude des champ* las de produire, l’église lourde, humiliée, lançait par l’indifférence azurée le vain appel des cloches, tou jours, une tendresse secrète, mais libérée, luede, s’exerce idéalement.
Mais Utrillo est surtout le pintre de ces casernes où la réserve de chair de la race piétine la jeunesse de ses désirs et de ss rêves, celui des fortifs accueillants, du bistrot et de cette mairie aux grilles fragiles, républicaiEment décorée, où nous ramène chaque échéance.
Or, en des lieux si modestemnt pathétiques, où l’humanité des faubourgs dérou; sa vie banale, un peintre, un vrai peintre, sut tpuver, austérité aimante, la joie de peindre et la prification douloureuse qui libère.
Enveloppe inédite, l’atmoshère que Utrillo créa compose en variations ifinies une palette symbolique.
Rouge, ardeur aux sonorits de tambour et d’émeute. Lumière émouvante des blancs. Bleus apaisés que connaît seule l'Ile le France; gamme souple, modulant à la perfectia la limpidité qui anime l’esprit raisonneur et lite de sa race.
C’est par cette ambiance, râisée avec tant de puissance qu’il imposa son ithme à quelques peintres représentatifs du paysaisme français contemporain.
Ainsi la mystique âpreté hitée d’aïeux purs, que son renoncement à tous «armes directs objective, s’humanise cependant par l’exercice du cœur et l’habitude de l’unité ançaise.
PFLOUQUET.
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Pi Marais :
La Volupté de l’Honreur
par LuigRrandello
Tout de suite, il faut déclsr que cette pièce bénéficie de l’impression produe par Chacun sa vérité — on la regarde de b en haut — de même qu’à l’intérieur du dram certains sommets répandent une lumière sur d’tres parties plus obscures. Vu horizontalement s le plateau, l’ensemble est assez lisse : un reçd vertical, porté
sur les feuillets du livre, y découvre plus d*un vide. D’autre part, la pièce évoluant sur le plan d’un faux réalisme à la Bernstein, le public sent un sol ferme sous ses pieds. Ajoutez à cela l’incomparable maîtrise de Dullin, vous aurez l’explication d’un crépitant succès.
Faux réalisme et mélodrame : La volupté de l’honneur y fait plus d’un faux pas. Dès le début, s’affirme le défaut. On ne fait encore que pressentir la prodigieuse habileté d’exposition des autres pièces :
Dessinateur subtil, s’emparer du modèle par n’importe quel bout (apparemment), jeter le trait sur le carton, de la sorte irrésistiblement contraindre celui qui regarde à suivre jusqu’au bout l’exécution...
Manœuvre par enveloppement: resserrer l’étreinte par une série de cercles concentriques se rétrécissant sur la proie qu’est le spectateur à conquérir...
Dans le même temps que sont posées les données du problème, en dérouler la solution ; participation intellectuelle obligée de l’auditeur...
D’ailleurs il n’y a pas d’exposition chez Pirandello, mais une coupe dans l’existence des personnages, à partir de quoi la vie continue. Or, précisément ici, Pirandello n’en est pas encore arrivé à la perfection de sa manière. Celle-ci est évidemment l’exploitation du goût pour le mystérieux que tous nous portons en nous. Le mélodrame exploite ce tréfonds, sans vergogne. Seule, une parfaite contention parvient à sauver ce qu’on nomme « bon goût ». La volupté de l’honneur, à cet égard, ne peut nous satisfaire entièrement. Elle donne à pressentir quelque sombre intrigue, plutôt que de « placer... sur le guéridon... les savates de la cuisinière ». — Sans doute l’auteur opère-t-il quelques redressements, et les acteurs ont-ils rectifié le penchant de ce début. Ceux-ci, cependant, n’ont pas des mieux défendu cette partie de l’œuvre. Il apparaissait plus clairement, ainsi, qu’ils usaient, dans certaines répliques, d’un langage livresque dicté par un Pirandello trop peu dissimulé.
Valentin Dullin de “ L’Atelier