natcharsky était cependant animé dune généreuse impartialité et que le journal de La Ligue des Artistes de Gauche , le « LEV » est publié aux frais de VEtat, ce qui ne Vempêche pas de com­battre ouvertement et vivement la politique esthé­tique du gouvernement. »

MM. Daye et Kochnitzky, au contraire, assu­rent que lensemble de lart plastique soviétique participe de lesprit cubiste. Sévérité, sobriété de lignes. Sans vouloir et pour cause prendre position, je me permets de penser que la déli­vrance révolutionnaire ne doit pas immédiatement favoriser une profonde réforme esthétique. (Le succès futuriste qui suivit la révolution doctobre fut superficielle et éphémère). Nest-il pas naturel que dans lélan dun nouveau destin économique et politique, un peuple célèbre sa victoire par une facile expansion dart romantique? Voilà pour­quoi le triomphe actuel des musiciens de cette école en Russie sexplique très aisément. Et une popularité cubiste, pas. On ne peut demander à un individu ni à une somme dindividus dopérer simultanément la double révolution intellectuelle (politique) et sentimentale (esthétique). Le cou­rage humain a une limite : on ne renonce point dun coup à toute son éducation.

Mais sil paraît utopique dexiger concomitance entre la révolte artistique et la révolte sociale, il nen est pas moins vrai que lune prépare lautre et que tôt ou tard la tendance à lharmonie détrui­ra lantagonisme premier.

MM. Daye et Kochnitzky ont insisté avec beau­coup de verve sur le théâtre collectif russe : la volonté dunir le spectateur à laction scénique. Créer des mouvements de masse. (Rénovation du principe des processions, des pèlerinages et des bonnes revues de music-hall). Et quand les ora­teurs décrivaient les effets de lumière du ballet de lInternationale, je songeais à lutilisation autre­ment subtile et émouvante peut-être que faisait, ce soir-, le trio Dario au Cirque Royal de Bru­xelles (Prisme créateur de couleurs). Car sil y a moyen de susciter les applaudissements en compa­rant les spectacles de Paris à ceux de Moscou, lépreuve contraire peut réussir aussi facilement.

Conclusion : lart nouveau de lEurope occi­dentale se porte très bien. Il y a des chercheurs en Russie; chez nos voisins et chez nous également. Lunion de tous les novateurs dart fera le pro­grès de lesthétique.

Pierre BOURGEOIS.

Les Arts Graphiques

en position de combat

Ne disposant que de quelques lignes, force mest de moccuper pour cette fois dune façon bien succincte encore du caractère typographique et de lillustration du livre.

Tandis quen 1455 apparaît le premier livre imprimé; que se répand le premier caractère typo­graphique directement basé sur lécriture gothique des copistes allemands; quensuite se développe le caractère ancien répondant le mieux aux exigences des humanistes et sinspirant pour les majuscules des lettres romaines anciennes, pour les minuscules des lettres qui aux XI e et XII e siècles furent tirées des minuscules carolines du IX e ; nous voyons déjà sortir en 1475 le premier livre illustré.

La gravure sur bois, de même nature que le caractère typographique à ses débuts, envahit tout le XV e et le XVI e siècle. Le XVII e devenant plus précieux, la gravure sur cuivre obtient la préfé­rence. Les illustrateurs gravent des pages entières de texte et daprès la technique du nouveau pro­cédé modifient la structure de la lettre. Un carac­tère appelé « moderne » sélabore, se fixe en 1757 par Baskerville et se répand dans toute lEurope. Le XIX e siècle amène le dessin lithographique qui, par sa structure moelleuse et ses planches tirées à part, sépare nettement lillustration du texte. Tout sens artistique disparaît. On imite les vieux styles et naturellement les fondeurs créent le « néo­ancien ». Ludwig Nieper, directeur de létablisse­ment qui sappelle aujourdhui lAcadémie Royale des Arts Graphiques et de lIndustrie du Livre à Leipzig proclame en 1877 que la typographie, même dans les éditions de luxe, nest pas un art, que le compositeur nest pas un artiste, pas plus que limprimeur. En Angleterre vers 1890, W. Morris se ressaisit, crée deux nouveaux caractères, reprend la gravure sur bois et fonde la « Kelm- scott Press »; Colben Sanderson et Emery Walker la « Doves Press ». Influencé par lécole anglaise, lAllemagne compose quelques nouvelles fontes dont quatre de Peter Behrens; la France trois, et analysant limportance dune renaissance typogra­phique, publie la brochure ; « Les Çochin ».

Depuis, plus rien, ou peu sen faut.

Il serait temps cependant de se remettre au tra­vail et d'établir un caractère bien conforme à notre époque. Car il est évident que tout doit marcher de pair et que parmi des idées entièrement renou­velées, à côté dun art en complète évolution, le caractère typographique ne peut transpirer tout le dilettantisme dun siècle passé. Certains artistes, tel près de nous J. Peeters, se sont certainement trompés dans leurs recherches lorsquils nous ont présenté leurs fameux cross word puzzle. Leurs lettres, jetées sans rapport avec la valeur dun texte la technique typographique, passeront à côté des Arts graphiques, ne serviront aucunement le caractère dimprimerie et resteront des... lettres mortes. En harmonie avec les éléments qui se croi­sent autour de nous, nous voulons une lettre dune architecture synthétique, comptant un maximum de lisibilité, agréable à lœil, répondant à la tech­nique du métal à employer et pouvant sadapter à notre manière de sentir, de comprendre et de voir.

Tandis que les procédés de fignolage poussent lillustration du livre vers la débâcle, la gravure sur bois et le travail du lino essayent de remonter le courant. Lart graphique ayant prouvé, déjà dans les « romans antiques » du XII e siècle et dans les « Femmes savantes » de Boccace les hori­zons sont fermés par un fond à dessins symétri­ques, que la feuille de papier ne peut supporter des surcharges détendues, de perspectives et de volumes; de nos jours, la peinture ayant fait com­prendre quun tableau ne peut trouer un mur à légal dune fenêtre, une époque savère pleine de promesses quant aux principes de lillustration du livre. On a trop longtemps ignoré quune diffé­rence marquante est à faire entre lidée de lau­teur dun livre et... la petite voiture, par exemple, qui passe au troisième chapitre. Lillustration, comme le disait Pelletan en 1898, doit traduire plastiquement lidée de lécrivain. Et jajoute que pour parvenir à garder le lecteur sous limpression produite par le texte, elle ne doit pas tomber dans une objectivité désastreuse.

Sans aucun doute, le cubisme aura permis à la gravure sur bois de se renouveler et à lillustration du livre de retrouver son véritable rôle. Pour sen rendre compte il suffit dexaminer les dernières productions de cette école, et à titre de meilleur exemple la « Joie » de Flouquet que je considère dans ce domaine comme une réalisation de pre­mier plan. LéSfmt de synthèse qui a présidé à la création de ces œuvres aura de la sorte remis en valeur cette vérité fondamentale qui veut que, par définition, lillustration se juge à la même dis­tance que le texte quelle commente.

A côté dune pareille offensive de la gravure, nous ne devons pas permettre que la lutte tarde dentrer en action. Elle influence directement la mise en page. aussi, nous devons éviter de manier loriginal et de friser le chaotique sous prétexte de modernisation. De la synthèse, de larchitecture, de la logique s. v. p... de lordre, de la construction!

La bataille est entamée. Ne commettons pas derreurs. Nous vivons un siècle les minutes sont comptées. Les arts graphiques en Publicité... Mais, me voici arrivé au terme de mon article. Une autre fois, je reprendrai cette matière... peut- être! R. COPPE.

Un roman de Félix Timmermans

LEnfant Jésus en Flandre

Parmi les œuvres de Pierre Breughel que ren­ferme le Musée Impérial de Vienne, figure ce Massacre des Innocents que nous connaissons tous, sinon par lune des répliques qui en sont disper­sées, du moins pour lavoir retrouvée en des livres dart. Breughel ny poursuit point la création dun Orient fantaisiste : Bethléem devient un hameau flamand du XVI e siècle. Chaumières et neige, une mare gelée, quelques arbres, le clocher trapu dune église. Au centre, une agitation tragique de villa­geois et de soudards. Impassibles, des cavaliers attendent.

Breughel pouvait-il plus directement émouvoir, pouvait-il plus librement traduire sa vision de la légende, quen faisant reconnaître sous des habits et dans le décor de la vie coutumière, la valeur humaine de son sujet? Cétait donner une seconde vie, pour nous plus réelle et significative, au thème évangélique. Cétait le transposer selon un tem­pérament et en songeant à des regards pour lesquels le monde familier initie aux plus riches échappées imaginatives.

Le livre de Félix Timmermans évoque une telle œuvre. Il renouvelle avec maîtrise le récit de la nativité du Christ. En Flandre, non loin de la Nèthe, se déroule à nouveau la mystique aven­ture. Vivante et simple, ornée dhumbles joies et dobscures douleurs. De la tristesse résignée au facile bonheur tout le courage, le tenace et silen­cieux courage des petites gens dici, et dailleurs, trouve sa plus pure exaltation. Un rayonnement de naïve et belle légende transforme ou plutôt découvre à nos yeux la signification des vies médiocres. Mais quels dons ne faut-il pas, à qui ose rajeunir en les amplifiant, ces symboles?

Avec humour et avec amour, F. Timmermans compose de judicieusement anachroniques person­nages. Que le petit bourg se rencontrent Maria et Joseph, ait son église et son curé, cela ne précise- t-il pas admirablement la teneur de leur existence? Toute latitude, dès lors, nous est offerte pour en multiplier les simples et expressifs détails. Les ministres dHérode sappellent Kops et Graathals; son fou, Hobbelewitje; son chien : Petite-Saucisse. Menus faits qui nous rapprochent efficacement du drame. Combien dautres pourraient sénumérer! Il ne subsiste ici nulle incontrôlable affirmation sur une époque révolue mais le relief des choses réelles, linstantané de gestes vrais.

Aussi, quelle saveur, quel puissant coloris, quelle sûreté constructive! U Enfant Jésus en Flandre est écrit avec une si évocative netteté que les chapitres simposent comme autant de représentations plasti­ques : vous lisez, et parallèlement, des images se succèdent. Nous nous étonnerions quun traducteur nous ait à ce point conservé la puissance de lori­ginal, si le texte français nétait à Madame Neel Doff.

Jévoquais Breughel le Vieux. Voyez le chapitre intitulé : Hérode et le Massacre des Innocents . Impossible de ne pas le rapprocher du tableau : cest le même petit village, de la neige aussi; un clocher flamand sy carre, sous un ciel gris. Les hommes darmes ont des gestes pareils dans le livre et sur le tableau. Et la même race, à plus de trois siècles dintervalle émue par le même récit, sex­prime ici et avec une vigueur aussi libre, aussi caractéristique dans sa traduction.

Signaler dautres aspects, non moins tragiques, serait presqne irrésistible, si labondance même ne métait un obstacle. Je veux du moins noter encore deux chapitres : Noël, la veillée des bergers : nulle part dans son livre autant quici, Timmermans na faite sienne lhumble et magnifique émotion des primitifs. Et les Trois Rois, qui est un ruisselle­ment de clarté, une symphonie de couleurs, un paroxysme de sons et de rythmes : la barbare et somptueuse procession des monarques orientaux, le martèlement innombrable des pas, la clameur des musiques, cuivres, bois, tambours, et laveuglante, la royale multiplicité des étendards savançant par les campagnes de Flandre...

Art essentiellement impressionniste dans son réa­lisme même. Un style savoureux, dispensateur de riches et larges visions, colore une admirable ten­dresse pour le sol et pour une race.

Certains préféreront à U Enfant Jésus en Flan­dre cet autre roman de Félix Timmermans ; Pal - lieter, dont le même éditeur (Rieder & C ie , à Pa­ris) a jadis publié lexcellente traduction faite par Bob Claessens. Il ne faut pas opposer ces œuvres mais les superposer. En Pallieter, une ardeur dyo- nisiaque faisait chanter la gratitude des sens envers linépuisable aventure dêtre. Comparée à un tel hymnç, la ligne mélodique générale de ce roman- ci paraîtrait souvent bien simple. Peut-on com­parer ce qui se complète?

LEnfant Jésus en Flandre, précisément, com­plète et approfondit notre connaissance dun grand écrivain. Et cette œuvre serait le pôle calme et mystique dune force créatrice très étendue, dont Pallieter serait le pôle exubérant et sensuel.

Cette diversité ne signifie cependant quune belle unité humaine. Mysticisme et sensualité non seule­ment se rejoignent et se pénètrent, mais essen­tiellement sidentifient.

Léon CHENOY .

Et le livre

En un rapport quil adresse à Herriot, Paul Claudel, ambassadeur de France au Japon, insiste sur la faveur grandissante que connaissent en ce pays les éditions allemandes; et le tort quelles causent aux presses françaises. Cartonnées, rognées, éditées avec soin et coûtant peu, ces nouvelles édi­tions ont pour le Japonais pratique un charme que narrive plus à concurrencer le livre fran­çais, dont le brochage abîmé par un long voyage, souligne encore le prix élevé.